Compréhension et communication chez K. R. POPPER

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2.2. La référence au sujet

On l’a dit plusieurs fois, la théorie de la connaissance de Popper s’affirme " sans sujet connaissant ", au sens où la connaissance telle qu’elle la décrit est objective, c’est-à-dire indépendante - pour toutes les raisons que l’on a évoquées - du sujet qui peut la produire ou la saisir.

Ceci ne va pas sans poser problème. Non pas que nous contestions la volonté poppérienne de rejeter le subjectivisme, mais, comme nous allons avoir l’occasion de la voir, il n’est pas si sûr qu’il n’y ait aucune référence de quelque sorte que ce soit au sujet connaissant dans l’épistémologie poppérienne elle-même. C’est ce qui nous permettra de dire qu’une " pragmatique critique poppérienne" est possible, en un sens du mot " pragmatique" que nous définirons et qui n’est pas celui auquel Popper peut songer lorsqu’il emploie ce terme.

 

2.2.1. Popper et la pragmatique

 

L’on a peu de mal à deviner les sentiments que l’auteur de La logique de la découverte scientifique peut nourrir pour les théories linguistiques dites pragmatiques, eu égard à ce qu’il pense de la linguistique en général et des errements dans lesquels elle peut entraîner la philosophie ; nous avons esquissé cet aspect de la pensée de Popper dans notre premier chapitre. Toutefois, et c’est ce que nous venons de montrer, il serait absurde de dire pour autant que Popper se désintéresse du langage. Bien entendu, pour lui, le contenu d’une théorie, d’un problème, sera toujours plus important - et de loin - que la formulation linguistique et les obstacles qu’elle peut engendrer. Le langage reste un instrument ; certes, son maniement ne va pas sans difficultés et ambiguïtés dont Popper est pleinement conscient ; il écrit à ce propos, par exemple, que " bien que le troisième monde ne s’identifie pas avec le monde des formes linguistiques, il naît avec le langage argumentatif " et que cela " explique pourquoi, dès que nos constructions deviennent problématiques, systématisées et axiomatisées, le langage, lui aussi, peut devenir problématique " (C.O. III, 6 - p. 221 [ c’est nous qui soulignons] ). Mais l’on sent bien qu’au fond, ces difficultés ne sont pas aux yeux de Popper des problèmes au même titre que les problèmes scientifiques : il s’agit toujours de handicaps, d’obstacles à surmonter pour pouvoir débattre de problèmes différents et rarement de questions mettant en elles-mêmes quelque chose en jeu.

Tout ce qui relève de l’ambiguïté linguistique ou des problèmes de compréhension (c’est-à-dire plutôt de mécompréhension, voire d’incompréhension) est bien réel, mais constitue le lot de la parole et de l’humanité. Ce qu’il faut bien voir, c’est que derrière les théories pragmatistes en général (i.e., de manière vague et très large, reposant sur une certaine idée d’utilité ou de succès), Popper chasse le relativisme et tous ses avatars. Etudier les rapports entre le langage et ses usagers peut être très instructif, pourvu que l’on n’en conclue pas à une dépendance indépassable de l’énoncé à son contexte et, par exemple, à l’intraduisibilité de certains énoncés au nom d’une incommensurabilité entre langues ou cultures différentes. Popper admet qu’il existe bien quelque chose comme la " relativité ontologique" de Quine ; mais il constate que la plupart des langages semblent être intertraduisibles (avec, certes, difficultés et imperfections). Assurément l’idée de relativité ontologique sonne-t-elle le glas de tout espoir de communication facile ; la sorte de " prison intellectuelle" à laquelle elle nous condamne (dont les murs, souvent inconscients, sont faits des règles structurales de notre langage, de la vision du monde que peut induire une certaine grammaire, des préjugés culturels...) n’est pourtant pas définitive et immuable. Nous pouvons toujours transcender les limites qui nous contraignent ; " et le point intéressant est que nous y réussissons. Le moyen de transcender notre langage est la critique " (Le mythe du cadre de référence [ cité ensuit M.C.R.] X - p. 31). L’on reste certes inévitablement au sein d’une " prison" intellectuelle, mais l’on peut sans cesse en repousser les murs, notamment en acceptant la critique et la confrontation avec des idées nouvelles qui peuvent faire prendre conscience des préjugés jusques aux plus profondément enfouis.

Il est crucial de noter que, lorsque Popper s’en prend à ce qui peut ressortir de la pragmatique, il s’agit toujours d’une démarche clairement motivée par la défense de son " objectivisme" ; de là que sa critique ait essentiellement pour objet la théorie pragmatiste de la vérité, autrement dit celle qui propose de juger de ce qui est vrai en termes d’utilité. Son champ d’application touche particulièrement les sciences physiques, à propos desquelles elle établit " que nous devrions accepter une théorie comme vraie si, dans les tests et autres applications, elle s’avère pragmatiquement utile, si elle réussit " (C.O. VIII, 4 - p. 455). Popper remarque qu’une telle conception de la vérité nait, à l’instar de celle de la vérité-cohérence, des doutes - légitimes - qu’occasionnent les déboires et problèmes de la théorie de la vérité-correspondance, laquelle soutient, rappelons-le, qu’il y va de la correspondance entre les énoncés et les faits (ce qui n’est pas sans poser des paradoxes comme celui, très célèbre, dit du menteur). De fait, pour un défenseur de la théorie de l’utilité pragmatique, il ne saurait y avoir quelque chose comme la correspondance entre un énoncé et un fait ; la tentative catastrophique de Wittgenstein dans le Tractatus logico-philosophicus pour défendre l’idée de correspondance (en la comparant au rapport qui peut exister entre les sillons d’un disque en vinyl et les sons qu’il dénote) ne fait qu’ajouter de l’eau au moulin pragmatiste. Au reste, la conclusion du Tractatus, qui établit que parler du langage est un non-sens, abonde complètement dans la même direction, puisque l’on en déduit vite qu’il n’y a de la même manière aucun sens à parler de correspondance entre énoncé et fait.

On sait comment, à l’aide - et dans le sillage - de Tarski, Popper milite pour le rétablissement de la légitimité de ladite théorie de la correspondance, non pas en un sens projectif comme le premier Wittgenstein, ni même avec l’idée de non-ambiguïté de Schlick, mais en mettant en lumière l’importance et la nécessité d’un métalangage adéquat (i.e. permettant de parler des faits - au niveau du langage-objet - et des énoncés portant sur les faits - au niveau du métalangage). Il pense que, de cette manière, Tarski réhabilite l’idée de correspondance, et c’est pour cette réussite philosophique qu’il ne cessera de rappeler ce qu’il lui doit, soulignant qu’il " n’a jamais autant appris de personne d’autre " (C.O. IX, 1 - p. 475).

Notre objet n’est pas d’étudier l’apport de Tarski en détail, car cela pourrait donner lieu à une recherche entière ; il nous suffit de signaler que, grâce à lui, Popper peut raisonnablement défendre l’idée que les tenants de la théorie pragmatiste n’ont en fait plus d’objection à présenter. Qui plus est, il soulève d’autres critiques plus internes à l’égard de cette théorie - plus internes mais pas moins embarrassantes : il s’agit notamment, face à l’idée de succès ou d’utilité, de demander " Utile pour qui ?" ou encore " Utile à quel terme ?" , tant il est vrai que tout n’est pas pareillement utile à chacun et que ce qui m’est utile aujourd’hui peut me nuire demain (ou l’inverse). C’est qu’une telle conception de la vérité est nécessairement " relativiste" , comme nous le suggérions tout à l’heure. A son encontre, Popper défend une conception absolutiste qui ne propose pas un critère de vérité (alors que l’utilité ou le succès prétend en être un) mais une idée régulatrice. Il écrit même : " il n’existe (...) aucun critère de la vérité, et nous n’avons pas à en demander un " (C.O. IX, 4 - p. 466).

Il est donc bien clair que c’est une forme forte du " pragmatisme" que vise Popper, notamment celle qui touche à la question de la vérité. Toutefois, il ne peut s’agir d’un rejet complet de toute approche pragmatique. Popper combat le relativisme et tout ce qui peut y mener ; cela ne signifie pas pour autant que tout ce qui relève de la pragmatique ait de telles conséquences. Nous soutiendrons précisément qu’il est possible de les éviter, et même de les contrôler à l’aide d’outils pragmatiques. Popper écrit d’ailleurs que " bien (qu’il soit) un adversaire du pragmatisme en tant que philosophie de la science, (il reconnaît) volontiers que le pragmatisme a mis l’accent sur quelque chose de très important : la question de savoir si une théorie a une certaine application, si elle a, par exemple, un pouvoir de prédiction " (C.O. IX, 4 - p. 458). On ne saurait mieux résumer ce que nous venons de dire : il n’y va pas nécessairement d’une épistémologie pragmatiste, mais bien de problèmes pratiques, liés au contrôle du seul théâtre de la critique et de la rationalité : le langage, et plus précisément le dialogue. Or, de telles finalités sont loin d’être exclues par la philosophie poppérienne. Nous allons tenter de montrer dans quelle mesure elles sont peut-être même " appelées" ; pour ce faire, il faut enfin en venir à la question du sujet connaissant.

 

 

2.2.2. Le concept de rationalité

 

Nous avons signalé à plusieurs reprises que Popper s’inscrivait délibérément en faux contre toute épistémologie subjectiviste (qu’il appelle également épistémologie de la croyance). C’est pourquoi il déclare hors-sujet les " " philosophes de la croyance" (...) qui, comme Descartes, Locke, Berkeley, Hume, Kant ou Russell, s’intéressent à nos croyances subjectives, et à leur fondement ou à leur origine " (C.O. III, 1 - p. 182). Une grande partie de l’épistémologie contemporaine, ajoute-t-il (id. - p. 184) peut se voir adresser la même critique, à commencer par la logique épistémique - sauf si elle reconnait que son objet n’est pas une théorie de la connaissance scientifique, auquel cas elle échappe à l’accusation. Pour Popper, il est en effet entendu que l’épistémologie ne peut être une théorie de la connaissance au sens large du terme, i.e. incluant le " savoir" subjectif et les processus mentaux correspondants ; elle est essentiellement théorie de la connaissance scientifique, cette dernière représentant une part capitale de la connaissance objective en général. Il est important, pour Popper, de bien distinguer entre les deux sens du terme " connaissance" et de ne pas se laisser induire en erreur par la synonymie. La connaissance (ou même la pensée) au sens subjectif, qui est un état de conscience, une disposition comportementale, ne doit pas être confondue avec la connaissance et la pensée au sens objectif, qui renvoient à des argument, des théories ou des problèmes. En quoi, précise-t-il, la connaissance " est totalement indépendante de la prétention de quiconque à la connaissance " et " de la croyance ou de la disposition à l’assentiment (...) de qui que ce soit " (C.O. III, 1 - p. 185). Elle est donc connaissance sans connaisseur, ou " connaissance sans sujet connaissant ".

A l’appui de cette idée, Popper cite souvent Frege, qui écrit dans Sens et dénotation qu’il entend " par pensée non pas l’acte subjectif de penser, mais son contenu objectif ". C’est, de fait, exactement ce que l’auteur de Conjectures et réfutations entend par pensée au sens objectif ; aussi écrit-il que " ce qui compte, c’est la préférence critique et non la croyance " (C.O. III, 1 - p. 182). Qu’il nous soit pourtant permis ici de soulever quelques interrogations ; autant il ne fait aucun doute que la pensée objective de Frege, parce que purement logique, ne comporte aucune référence à un sujet (pas même idéal), autant nous pouvons avec A. Schramm nous demander : " qu’allons-nous faire des problèmes, théories ou arguments, tous au sens objectif, c’est-à-dire sans référence à quelque sujet ? ". Evidemment, comme il l’avance lui-même, tous ces termes renvoient à des contenus objectifs, autrement dit des propositions (ou énoncés) susceptibles de recevoir une valeur de vérité. Il faudra d’ailleurs à cet endroit considérer en quelque sorte trois valeurs de vérité possibles, puisqu’il ne peut y avoir que vrai ou faux : cette bivalence, si elle sied aux sciences logico-mathématiques, n’est pas strictement applicable aux sciences empiriques où, si les énoncés peuvent bien être faux, l’on ne peut jamais en toute rigueur les tenir pour définitivement vrais ; ils seront alors plus ou moins proches de la vérité (c’est tout le rôle du concept poppérien de vérisimilitude). Quoiqu’il en soit, il ne s’agit pas de contester l’objectivité desdites propositions ; elles n’ont, en tant que propositions, aucun lien avec un quelconque sujet connaissant. La question de leur vérité, de leur fausseté, ou de leur proximité avec la vérité relève de cette partie de la logique qu’est la sémantique. Mais, et c’est là que le bât nous semble blesser, les notions de problème, d’argument, ou de réfutation, ne sont pas des notions purement logiques ou sémantiques. Il est impossible de déterminer du seul point de vue logique si, par exemple, une proposition est un argument en faveur d’une thèse. Le point est délicat. L’on pourrait certes avancer que si l’on montre que l’ajout d’un énoncé à une théorie - nous entendons par théorie, comme le fait Tarski, la réunion d’un ensemble d’énoncés (ou d’axiomes) et de leurs conséquences logiques - ne la rend pas inconsistante, ledit énoncé peut être considéré comme une sorte d’" argument" au service de la théorie. Or, cela peut tout à fait se démontrer purement logiquement (il suffit de construire au moins un modèle satisfaisant la nouvelle théorie). Mais ce que l’on aura alors prouvé, c’est que l’énoncé est compatible avec la première théorie, non pas qu’il constitue un argument pertinent en sa faveur. Par là, nous essayons de dire, avec difficulté car la question est suffisamment fine pour paraître futile, que l’idée d’argumentation n’est en elle-même pas du domaine de la logique. Cette dernière est assurément un outil indispensable à l’argumentation et à la critique, mais en logique il n’y a ni conjectures, ni réfutations, ni problèmes. Du point de vue logique ou sémantique, il n’y a qu’une infinité de propositions toutes " égales" : l’unique discrimination possible consiste en l’attribution de valeurs de vérité. A ce niveau, une proposition ne peut être ni un " argument" , ni un " problème" parce que, comme le dit A. Schramm (op. cit. - p. 114), " la sémantique ne permet pas de faire la distinction entre (les) propositions qui sont problématiques et celles qui ne le sont pas ".

Que l’on fasse attention : il ne s’agit pas de nier l’existence de problèmes, de théories ou d’hypothèses objectifs. De telles choses existent bel et bien, au sens où l’entend Popper. Nous essayons juste de soutenir qu’il est difficile, et même impossible, de déterminer ce qui fait qu’une même proposition peut être une hypothèse ou un problème sans jamais se référer d’une façon ou d’une autre aux sujets pour qui cette proposition est soit une hypothèse, soit un problème. C’est pourquoi nous disons avec A. Schramm qu’" une théorie du savoir objectif doit être une théorie pragmatique (au sens sémiotique de " pragmatique" ) ", c’est-à-dire qu’" elle doit tenir compte des sujets connaissants et, dans un sens, s’y référer " (id. - p. 114). Selon Schramm, Popper présuppose d’ailleurs une théorie de ce genre lorsque, notamment, il s’occupe de la question de l’induction.

Quoiqu’il en soit, il nous faut défendre notre thèse ; nous avons déjà posé les jalons de cette défense en évoquant les notions de problème ou d’argument. De la même manière, il est des questions qui excèdent le cadre de la logique déductive et de la sémantique (où l’on traite de modèles, de conséquences, de cohérence...) : celles qui touchent aux problèmes de justification, de préférence ou de rationalité. C’est que, comme l’écrit A. Schramm, " la rationalité n’est pas, à l’inverse de la vérité, un concept sémantique, mais un concept pragmatique " (p. 115). Alors que la vérité et la fausseté se réfèrent à des propositions, il y a une sorte d’abus de langage à parler de propositions rationnelles ou qu’il est rationnellement justifié de préférer à d’autres (cet abus s’étend aux théories et aux contenus de pensée en général). En fait, une proposition ou une théorie n’est ni rationnelle ni irrationnelle : ce sont les tendances à y adhérer ou non qui peuvent l’être. Autrement dit, lorsque l’on qualifie une proposition de rationnelle, l’on sous-entend qu’il est rationnel pour un sujet d’y croire ou de la préférer à une autre. Et il y a là inévitablement une référence à un sujet, ou à tout le moins - cela suffit - à un sujet possible.

Ceci ne nous oblige pas à admettre un point de vue subjectiviste, comme on pourrait le craindre : la rationalité reste un concept objectif qui s’applique à des tendances de croyance comme la vérité et la fausseté s’appliquent à des énoncés ou des théories. Si l’on ne peut traiter de rationalité au sein de la logique ou de la sémantique, l’on ne peut pas non plus le faire " empiriquement" (un psychologue pourra, par exemple, faire des tests pour déterminer dans quelle mesure un individu tient à une croyance, mais cela ne dira rien de la rationalité de cette croyance).

Comment rendre alors compte d’une épistémologie objectiviste incluant des jugements de rationalité ? La réponse d’A. Schramm ne nous étonne pas et rejoint plusieurs de nos intuitions : un tel compte-rendu sera normatif, car " les normes en tant que telles, c’est-à-dire non pas les énoncé-normes en eux-mêmes mais leur contenu, sont les vrais hôtes du Monde 3 de Popper " (p. 116). De fait, elles sont valables indépendamment du fait que des sujets y obéissent ou non. En quoi nous dessinons une " épistémologie avec référence aux tendances des sujets connaissants possibles, sans souci de leur existence réelle " (p. 117), ce qui est une référence objective et écarte donc le spectre subjectiviste. Selon Schramm, lorsque Popper s’occupe du problème de l’induction, il se place implicitement dans le cadre d’une telle épistémologie ; il est trahi, dans sa reformulation même du problème logique dit de Hume, par l’emploi des verbes " justifier" et " admettre" qui, visiblement, excèdent toute caractérisation purement logique et se réfèrent au fond à un sujet. Schramm soutient qu’à ce moment Popper a été induit en erreur par sa conception trop vaste de la logique, qui l’aurait conduit à penser que " si en sémantique il n’y a d’autres relations valables que celles de la logique déductive, il ne peut alors y en avoir d’autres en pragmatique " (p. 118). Ainsi traite-t-il de la même manière propositions et attitudes. Or s’il est vrai que ce qui est interdit en sémantique l’est également en pragmatique (par exemple : croire en une proposition qui est une contradiction logique, ou croire en une loi universelle et, dans le même temps, en un énoncé qui, conjoint à cette loi, rend l’ensemble inconsistant) on ne doit pas pour autant exclure la possibilité d’existence de critères pragmatiques non déductifs, " normes de croyance rationnelle, énonçant les conditions par lesquelles nous sommes fondés à préférer une proposition plutôt qu’une autre dans le respect de la vérité " (p. 119). Et A. Schramm de conclure que, si les normes de la rationalité ne sont effectivement pas probabilistes (bien que dans certaines situations l’on puisse agir comme si une approche probabiliste de type bayésien était correcte), elles ne sont pas uniquement déductivistes : Popper, au moyen de sa méthode de conjecture et réfutation, va lui-même " au-delà de la logique déductive dans le domaine de la pragmatique normative " (p. 120).

Ce n’est toutefois pas vers les questions de rationalité pratique que nous allons tout de suite tourner notre regard, mais vers ce qui nous semble souvent les sous-tendre, autrement dit le dialogue, étant entendu - ce que nous aurons pour but de montrer - que lorsqu’il s’agit de normativité pratique il y va de la rationalité, que, comme le dit Popper lui-même, il n’y a " rien de plus rationnel qu’une discussion critique " (C.O. I, 9 - p. 66), et qu’il nous semble que le lieu essentiel de critique est le dialogue. Avant d’étayer ce raisonnement, qui peut avoir l’air arbitraire, tirons les conséquences de ce qui vient d’être dit avec A. Schramm, en donnant d’autres raisons qui nous paraissent plaider en faveur du besoin de ce que nous allons enfin définir comme une " pragmatique critique" .

 

 

   

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